#12 Prendre ses désirs pour des réalités
- Jean-François Caron
- 10 nov. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 nov. 2024
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Script du podcast " Prendre ses désirs pour des réalités "

Bonjour et bienvenue pour ce podcast de philosophie pratique. L’objectif est de vous y présenter des idées clés sur divers sujets, à partir de ce qu’on écrit nombre d’auteurs, et aussi en référence à quelques paroles de chansons qui parfois nous en disent bien plus que de longs discours. J’espère ainsi que vous y trouverez matière à penser pour votre développement personnel. Dans ce nouvel épisode, il est question du désir. Désirer nous concerne tous. On ne vit pas sans désirer quoi que ce soit, ou quelqu’un, et ceci sans en avoir réellement conscience. C’est d’ailleurs ce qui différencie le désir de l’envie. J’ai conscience de mes envies. Celles-ci sont autant de déclarations à aimer, à faire, à posséder. Je m’affirme en quelque sorte avec mes envies. Le désir en revanche est de nature inconscience. Je désire sans le savoir. Je suis comme poussé vers une personne ou intéressé par une chose ou une idée, sans même connaître les causes de cette attirance. Ainsi, le désir est comme une force intérieure que je ne maîtrise pas, l’envie elle étant une intention. Les deux ne coïncident pas toujours. J’ai envie de faire telle ou telle chose alors que je désire autrement. J’ai envie d’arrêter de fumer et en même temps la prochaine cigarette comblera mon désir de fumeur. J’ai envie d’être intégré dans un groupe alors que mon désir réclame plus de solitude. J’ai envie de pratiquer une activité sportive et pourtant je désire du repos. Ainsi, l’envie et le désir ne s’accordent pas toujours parce qu’ils sont différents, sans toutefois être indépendants. Même si j’accomplis ce dont j’ai envie, je me sens mal à l’aise si cette envie ne concorde pas avec ce que je désire. Même chose lorsque je désire une personne ou une chose sans être capable de transformer ce désir en une envie particulière. Dès lors, si l’envie et le désir ne trouvent pas à s’accorder, me voici tiraillé, pris entre deux feux sans même savoir quelle est l’origine des conflits intérieurs qui m’interdisent la sérénité. J’ai vite fait alors de considérer le désir comme la source de mes souffrances à défaut de le distinguer de l’envie, en y mêlant le plaisir. Ainsi, je crois désirer ce qui me plaît tout en pensant qu’il n’est pas de plaisir sans manque, ni de plaisir sans insatisfaction puisqu’il est sans fin. Me voici dont prêt à souffrir, comme le chantaient en duo Véronique Jannot et Laurent Voulzy dans Désir, Désir, avec les paroles suivantes, je cite : « Mon premier c’est désir, Mon deuxième du plaisir, Mon troisième c’est souffrir, Et mon tout fait des souvenirs. »
Dès lors, ne faudrait-il pas moins désirer pour se sentir mieux ou à tout le moins s’éviter quelques souffrances, ou encore se convaincre de désirer selon nos envies si tant est que cela soit possible ? Je vous apporte dans ce podcast quelques éléments de réflexion sur ces questions, en m’appuyant sur ce que nous dit Spinoza à propos du désir.
Spinoza a marqué profondément et durablement l’histoire de la philosophie, au même titre que d’autres philosophes illustres qui comme lui sont passés à la postérité. Son œuvre date du XVIIème siècle et renverse nombre de considérations de l’époque à propos de Dieu, de la nature et de l’homme. C’est ainsi qu’il définit l’homme à partir du désir qui l’anime, je le cite : « Le désir est l’essence même de l’homme, en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par la suite d’une quelconque affectation d’elle-même à faire quelque chose. » Ainsi, pour Spinoza, c’est le désir qui est essentiel, et non l’envie. Il est au fondement de notre être. Il nous permet d’exister, de nous développer, de gagner en puissance de vie, car nous ne sommes pas différents du désir, ni n’en sommes éloignés. Nous sommes le désir. Avec Spinoza, il est possible de penser que le désir n’est pas conditionné par ce qui nous manque, contrairement à ce d’autres philosophes avant lui, comme Platon, en ont déduit. Je désire donc je suis pourrions-nous dire et penser que ce n'est pas le désir qui nous pousse vers ce que nous ne possédons pas, mais l’envie.
En s’appuyant sur la conception de Spinoza sur le désir, deux conséquences pratiques sont envisageables. Premièrement, on comprend que ce n’est pas une personne ou un objet qui provoque chez nous le désir, mais que nous sommes attirés par telle personne ou tel objet à partir de ce que nous sommes. Autrement dit, et je cite Spinoza : « On ne désire pas les choses parce qu’elles sont belles, mais c’est parce qu’on les désire qu’elles sont belles ». En renversant ainsi le rapport entre le désir et l’objet désiré, nous voici désormais bien plus libre que nous ne le pensons à propos du désir. D’où la seconde conséquence, à savoir que le désir n’est pas l’expression d’un manque mais d’une puissance. Puissance d’être ce que nous sommes, d’être bien réel au lieu de se perdre dans des envies qui ne nous appartiennent pas.
Chacun connaît l’expression suivante, ne pas prendre ses désirs pour des réalités, expression qui sonne comme un avertissement en renvoyant le désir à l’imagination. Mais si l’on s’en tient à la conception de Spinoza, c’est-à dire que nous sommes désir, n’est-ce pas vivre moins que de suivre à la lettre ce qui est recommandé communément ? A l’inverse, ne vaut-il pas mieux faire de ses désirs une réalité pour augmenter sa puissance de vivre, et ainsi ressentir de la joie ? En posant la question ainsi, il n’est guère envisageable de répondre par la négative. Toutefois, deux bémols, et non des moindres, sont opposables à toute affirmation expéditive. Le premier est que même si le désir est essentiel pour ce qui nous concerne, il n’en est pas moins mystérieux. Il arrive d’ailleurs de prendre conscience parfois de ce nous désirons seulement une fois le désir satisfait. Il arrive aussi comme je l’ai dit précédemment que nous pensons désirer une personne ou une chose alors qu’il s’agit d’une envie qui ne nous correspond pas, envieux que nous sommes de ce l’on croit nous manquer ou que d’autres nous font croire. Ensuite, nous ne sommes pas seuls. Faire de ses désirs une réalité sous prétexte que le désir est notre essence n’est pas concevable sans y mettre quelques limites d’ordre moral. En effet, imaginons que la méchanceté me caractérise, qu’elle fasse partie comme on dit de ma nature. Si je suis désir comme le propose Spinoza, il me faudrait alors être méchant pour augmenter ma puissance vitale, être réellement ce que je suis et ainsi accéder à la joie. Il ne m’est toutefois guère possible d’être méchant sans que ce ne soit pas au détriment d’autrui. Difficile dans ce cas de s’en remettre sans condition à ce que nous dit Spinoza à propos du désir. Ainsi, le désir est certainement ce que nous sommes, comme le propose Spinoza, mais aussi nous responsabilise-t-il tant vis-à-vis de nous-même qu’à l’égard d’autrui. Ainsi, il ne s’agit pas de désirer moins en pensant que l’on désire ce qui nous manque. Je conseille plutôt de de chercher à connaître ce qui nous anime au plus profond de nous en prenant ses désirs pour des réalités, non pas pour se satisfaire à tout prix, mais pour faire correspondre ses envies à son désir avec pour limite le respect d’autrui.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être poursuivrons-nous ensemble la réflexion.
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