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#15 Se libérer du libre-arbitre

Dernière mise à jour : 1 déc. 2024

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Script du podcast " Se libérer du libre-arbitre "


podcast philosophie libre-arbitre liberté

Bonjour et bienvenue. Vaut-il mieux privilégier le libre-arbitre ou s’en défendre ? La liberté ne laisse personne indifférent. Elle est une aspiration, laissant entrevoir nombre d’alternatives. Elle est également comme un terreau pour l’imagination. Parfois, elle se trouve au centre d’un combat, ou bien se retrouve centrale pour l’organisation d’une collectivité. La liberté s’inscrit dans les relations humaines, sur un plan personnel au sein de la famille, sur un plan social entre les individus, sur un plan professionnel entre les dirigeants et les salariés, sur un politique entre le pouvoir et les citoyens. Il y a finalement de la liberté partout, et tout le temps. Elle est ainsi un sujet essentiel, et pourtant son essence nous échappe dès lors qu’il s’agit de la considérer comme unique et irrévocable. Autrement dit, on peut aborder la liberté, et donc le fait d’être libre de différentes manières, ceci au gré des croyances, des conventions, des religions. On peut avec raison penser la liberté, tout comme se sentir libre. La philosophie bien-sûr traite la question de la liberté sans en fournir une réponse ferme et définitive, ce qui finalement n’est guère surprenant car ce serait épuiser la liberté elle-même que de l’enfermer dans un concept. Dès lors, ne s’agit pas plutôt de se libérer, de s’engager dans un processus de libération qui n’en finit jamais pour éviter toute fin dernière ressemblant à un emprisonnement ? Vaut-il mieux se libérer et en finir avec le libre-arbitre ? Je vous propose dans cet épisode de parcourir quelques idées clés ayant traversé l’histoire de la philosophie afin d’en dégager, espérons-le, un conseil de vie pratique.


Marcel Conche, philosophe français, dit de la liberté qu’elle est, je le cite : « le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien. » Avec cette définition, il rejoint une tradition philosophique dont Descartes est l’un des représentants et qui consiste à assimiler la liberté au libre-arbitre. Ainsi, la liberté se trouve définie par rapport à ce qui la rend possible, le libre-arbitre donc. Sur ce point, deux conceptions s’opposent, entre d’un côté le libre-arbitre, de l’autre le déterminisme. Intéressons-nous dans un premier temps au libre-arbitre, avec Descartes en particulier. Selon cette perspective philosophique, nous serions libres parce que nous aurions la capacité à nous déterminer, sans pression extérieure, ni-même intérieure. C’est entre autres sur ce dernier point, c’est-à-dire le rapport que nous entretenons avec nous-même à propos de la liberté, que le débat est ouvert. En effet, être libre, c’est décider, c’est agir, selon sa propre volonté. Je décide, j’agis selon ce que je veux et quand je le veux. Mais la volonté qui est le moteur de la liberté ainsi revendiquée m’appartient-elle totalement ? En suis-je l’unique source et ceci en toute conscience ? En pensant au libre-arbitre, la réponse est oui. Selon Descartes, c’est parce que le corps et l’esprit sont distincts que le libre-arbitre est possible, la volonté relevant de l’esprit, le désir lui appartenant au corps. On pourrait ainsi vouloir, en conscience, avec la raison et rien d’autres, en se détachant totalement du désir qui nous anime et que les passions gouvernent. Toujours selon Descartes, le libre-arbitre rend possible de décider ou de choisir sans savoir ou connaître le réel dans sa globalité. La raison n’est donc pas contrainte dans ses développements logiques. Une part du réel suffit pour envisager la totalité du monde, et ainsi nous est-il possible d’être libre sans même accéder corporellement à tout ce qui nous entoure. Comme il est tout à fait concevable d’agir à l’encontre de la logique, de façon absurde. Nos décisions, nos actions, nos dires, aussi absurdes soient-ils, sont autant de témoignages du libre-arbitre que les raisonnements les plus fins ou conséquents. En adoptant la position philosophique prise par Descartes, il ne s’agit pas de se libérer puisque par nature nous sommes libres.

 

Au libre-arbitre s’oppose une conception de la liberté proposée par ceux que l’on désigne volontiers comme les philosophes du soupçon, avec notamment Spinoza et Nietzsche. Même si ces deux penseurs illustres ont développé chacun leurs théories, on y trouve un point commun à propos de la liberté, à savoir que nous ne sommes pas absolument libres comme le pense Descartes. Spinoza nous dit que nous estimons être libres mais c’est là une illusion, puisque nous ne connaissons pas les causes de nos désirs qui nous poussent à agir de telle ou telle façon, ou à prendre des décisions. Spinoza précise à propos du désir, qu’il est, je cite : « l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par un affect quelconque donné en elle. » Spinoza reconnaît ainsi dans le désir une impulsion fondamentale que nous ne maîtrisons pas car nous n’en connaissons pas les causes, et ainsi se distingue-t-il de Descartes et de l’idée d’une volonté dont nous ne serions totalement maîtres. Je cite une nouvelle fois Spinoza qui nous dit : « l’homme n’est pas un empire dans un empire ». Notre désir que nous ne connaissons pas commande la volonté à laquelle nous prêtons, illusoirement, des attributs de liberté qu’elle ne possède pas.

 

Nietzsche, comme Spinoza, considère que la liberté chère à Descartes est un leurre. Selon lui, ce sont les passions, et non la raison, qui sont maîtresses du jeu. Quand nous prenons une décision, celle-ci n’est pas le produit d’un raisonnement qui serait déchiffrable selon des critères objectifs. Nous décidons selon la passion la plus forte nous animant entre toutes celles qui nous échappent. Prenons un exemple. Je suis dans une entreprise et il me fait choisir entre plusieurs options possibles. J’analyse la situation, j’en distingue les opportunités et les menaces, je relève les contraintes et les opportunités d’agir. J’associe cette analyse à des objectifs qui m’ont été donnés et les moyens qui me sont alloués pour les atteindre. Je construis donc un raisonnement, aboutissant à une conclusion que j’interprète comme le point de départ de mon action. J’estime ainsi décider en conscience et de manière raisonnable. Toutefois, est-ce vraiment le cas ? L’option que j’ai retenue parmi d’autres est-elle aussi fondée en raison que je le pense ? N’ai-je pas plutôt agi de manière pulsionnelle, en retenant ce qui me rassure le plus peut-être, pour le protéger de l’incertitude inhérente à toute prise de décision ? Le choix que j’ai formulé ne profite-t-il pas plus à moi qu’à mon entreprise ? N’est-ce pas ce qui m’anime au plus profond de mon être, et que je ne connais pas, qui a déterminé ma décision ? A cette dernière question, en suivant Nietzsche, je réponds que oui, et non si je reste fidèle à Descartes.

 

Libre-arbitre ou non ? Volonté libre ou désir impérieux ? Pour trancher ce débat, il convient à mon sens plus de prendre position que d’affirmer ce qu’est la liberté, celle-ci étant finalement plus d’ordre métaphysique que logique. Ainsi, je retiens volontiers les propositions de Spinoza et de Nietzsche. Non pas qu’il s’agit de s’opposer à la position prise par Descartes, mais plutôt de préférer ce que les philosophes du soupçon nous disent à propos de la liberté. On ne peut pas à mon avis détacher totalement le désir de qui l’on est. Toute décision prise ou tout choix affirmé n’est pas comme un écrit sur une page totalement vierge, mais appartient à une histoire qui nous précède et dont nous ne sommes pas entièrement les auteurs. Il y a je crois dans notre liberté toujours quelque chose d’inaccessible, un je-ne-sais-quoi comme dirait Jankélévitch, que je ne gouverne pas. En revanche, ne pas croire être totalement libre n’empêche pas d’agir pour l’être un peu plus. Il est question ainsi d’envisager la liberté non pas comme un point de départ, mais plutôt comme une fin qui sans cesse se dérobe toujours un peu, mais dont le chemin pour y accéder nous appartient. C’est non pas se persuader d’être libre, mais chercher à se libérer. Je terminerai ainsi par ce conseil, soit de penser que même si nous sommes déterminés par ce qui nous constitue et ce qui nous entoure, il nous reste la manière, la façon que nous avons d’être conditionné. Dès lors, notre liberté est plus enjeu de libération en concluant que la liberté se loge plus dans la manière que dans la matière. En somme, nous voici libéré du libre-arbitre.

 
 
 

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