#14 Croire en Dieu avec Descartes...ou pas
- Jean-François Caron
- 17 nov. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 nov. 2024
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Script du podcast " Croire en Dieu avec Descartes...ou pas "

Bonjour et bienvenue. Qui peut dire qu’il n’a jamais douter une fois dans sa vie. Douter des autres, de leur bienveillance, de leur sympathie, de leur amitié, de leur amour peut-être. Douter de leurs compétences également, de leurs expériences déclarées, pourquoi pas de leurs opinions. Douter encore de leur motivation, de leur implication, de leurs envies avouées et de leurs désirs silencieux. Qui peut dire aussi qu’il n’a jamais douter de soi, de ses capacités à faire ce qui est attendu par d’autres ou par soi-même, de ses facultés à entreprendre ce qui l’anime, de sa réussite à venir et des échecs cachés, de son engagement envers les autres jusqu’à ses proches les plus intimes. Il appartient à chacun et à chacune de douter, et ceci disons-le fort heureusement à la condition que le doute soit une parenthèse et non une issue. Douter de tout, de tous, tout le temps, nous plonge dans une incertitude qui ne s’épuise jamais, nous plonge dans l’indécision qui à jamais demeure, transforme la peur en angoisse. Jean-Paul Sartre disait que « l’enfer c’est les autres ». C’est douter sans cesse à leur sujet qui rend l’existence infernale. En revanche, envisager que chacun puisse douter de choses et d’autres, de temps en temps, est une forme de salut car rien de grand ne s’acquiert vraiment sans avoir douter de sa réalité ou de la possibilité de l’atteindre. Ajoutons que le doute est une forme de reconnaissance entre les individus puisque personne ne sait lui fausser compagnie. On peut d’ailleurs se laisser aller jusqu’à aimer, non pas le doute, mais celles et ceux qui le manifestent, en accordant au fait de douter un aspect charmant et pourquoi pas délicat. C’est ainsi que le doute au lieu que d’être un repoussoir nous réunit puisque tout le monde s’en trouve traversé.
Douter de soi. Douter des autres. Il est également une autre forme de doute qui concerne la connaissance, pas tant son contenu que la capacité à connaître. Que puis-je savoir se demandait Kant en s’interrogeant sur les facultés humaines à saisir le réel dans ce qu’il a de plus vrai. Cette question, René Descartes se la posa aussi, et fit de cette interrogation fondamentale une des propositions les plus fameuses de l’histoire de la philosophie. Je pense donc je suis. Mais avant d’en arriver à cette conclusion, Descartes employa le doute de la manière la plus radicale qui soit, en remettant tout en question, en doutant de tout jusqu’à sa propre existence. Comment en effet puis-je prétendre savoir quoi que ce soit si je ne suis même pas capable de démontrer que j’existe réellement. A défaut de prouver que je suis là, ici et maintenant, dès lors tout ne serait peut-être qu’illusion, le monde, les êtres, les choses, mes proches, mes amis, mes ennemis. D’ailleurs, en y réfléchissant bien, combien de fois ne me suis-je pas trompé à propos de la réalité, la pensant d’une certaine façon et constatant par la suite qu’elle était tout autre. Ce constat même, cet écart entre le réel et ce que j’en pense, ne serait-il pas lui-même une erreur de plus. Ne suis-je pas finalement condamné à me tromper perpétuellement et indéfiniment si tout est illusoire, y compris la personne que je pense être. Ne suis-je pas comme Truman, ce personnage incarné par Jim Carrey qui se trouve plongé dans un univers où tout est vraisemblable mais rien n’est vrai ?
Descartes s’est donc mis à douter de tout, y compris du doute lui-même, afin de trouver ce qui pourrait peut-être lui résister immanquablement. Poussant le doute à l’extrême, il parvient à un point ultime de sa réflexion qui n’est pas un vide sans fond, mais au contraire une certitude absolue qu’il formule en deux propositions. La première, je pense donc je suis. Puis la seconde : Dieu ne peut qu’exister
Je pense donc je suis. Telle est la première proposition de Descartes qui selon lui est incontestable. Et ainsi, parce que je pense, donc je suis, il m’est possible de connaître le monde. Ceci n’enlève en rien au fait que je puisse me tromper. Mais dorénavant, je peux envisager d’atteindre ce qui est vrai parce qu’il me sera toujours loisible de m’appuyer sur une vérité absolue, celle que j’existe. En affirmant que je pense, donc je suis, Descartes atteint une conclusion ultime qui au lieu de siffler la fin de la partie est le point de départ de la pensée moderne. Il y ainsi, dans l’histoire de la pensée occidentale, un avant et un après Descartes. En supposant que nos sens sont trompeurs et qu’ainsi toute perception du monde se traduit en une représentation qui ne résiste pas au doute, ceci quel que soit l’individu, quel que soit l’endroit, le moment, il y a toutefois une chose dont je ne peux pas douter, c’est le fait que je doute. Je peux toujours affirmer que rien de ce que je pense vrai l’est réellement, donc de douter sans relâche, il m’est impossible de dire que je ne doute pas. Ainsi, par le fait de douter sans cesse, j’accède à une vérité qui me dépasse, que je ne peux pas contredire alors même que c’est cette vérité qui m’autorise à prétendre que rien n’est vrai. Je ne peux pas dire autrement que je doute. Et Descartes de conclure que si rien ne remet en cause le fait de douter, c’est bien que j’existe car le doute n’est possible qu’à la condition d’être pensé. Je doute, donc je pense, donc je suis.
Selon René Descartes, c’est l’âme qui pense et non le corps, ce que l’on peut volontiers reconnaître avec lui. Toutefois, le philosophe sépare l’âme du corps, considérant l’âme comme une entité indépendante de l’enveloppe corporelle, une substance à part entière. Cette séparation est essentielle dans la pensée de Descartes car elle autorise selon lui à chacun de prendre conscience de soi. Ainsi, je ne suis pas qu’un corps parmi d’autres. Avant tout je suis âme unique et individuelle, comme pour chacun d’entre nous. En doutant de tout jusqu’à sa propre existence, puis en concluant qu’il ne peut pas en être autrement que d’exister pour douter, Descartes renvoie chacun à sa propre conscience et fonde en conséquence les bases de l’individualisme moderne. Puis, poursuivant sa réflexion, Descartes estime que si l’homme ne peut qu’exister, il a bien fallu le créer. Reste à savoir qui est le créateur. Est-ce l’homme lui-même ? A l’évidence non puisque l’homme ayant la capacité de penser jusqu’à avoir conscience de lui-même, s’il s’était créé, il s’en souviendrait. Si ce n’est pas l’homme, qui donc alors ? Dieu selon Descartes. L’homme n’a pas pu se créer lui-même, c’est donc une entité le précédant et le dépassant qui est son créateur. D’ailleurs, Descartes conclut que cette entité, Dieu en l’occurrence, ne peut qu’exister puisque nous sommes chacun de penser la perfection, l’éternel, l’infini. Qui donc que Dieu lui-même aurait pu nous mettre ces idées dans la tête, nous qui sommes si imparfaits, mortels et limités. En s’appuyant sur le principe de causalité, estimant qu’il ne peut y voir plus de chose dans la conséquence que dans la cause, nous ne pouvons pas, nous autres êtres humains, à la fois puissant comme Dieu l’est et impuissant à bien des égards comme nous le sommes.
En résumé, doutant de tout, je puis affirmer que j’existe car il est impossible de douter du fait même de douter, et que pour douter, il me faut penser donc exister, sachant que pour exister il a fallu que je sois créé par plus grand que moi, c’est-à-dire par Dieu lui-même. Je pense donc je suis grâce à Dieu.
Le raisonnement de Descartes au premier abord apparaît implacable car logique. La logique est une entreprise intellectuelle tirant sa puissance de la cohérence des idées qu’elle induit entre elles. En soi, la logique elle-même n’est guère contestable en tant que procédé. Cependant, ce sont les conditions de son exploitation qui peuvent l’être et ainsi le résultat qui découle de son utilisation. La logique en effet repose sur des théories et des principes dont la validité n’est jamais définitivement acquise. Même si la logique s’applique de façon identique en tant que procédé, ceci en tout temps et en tout lieu, ce sur quoi elle repose, son support, le paradigme donc, lui n’a rien d’immuable. En d’autres termes, un résultat logique aujourd’hui peut ne plus l’être demain. N’oublions pas que, pour illustrer ce qui vient d’être dit, la Terre bien longtemps fût plate dans les esprits avant que de s’arrondir. Ainsi, lorsque Descartes démontre l’existence de Dieu, il le fait logiquement selon des repères propres à son époque. Il s’appuie notamment sur la causalité dont le principe a fortement influencé les théories scientifiques de son temps et celles qui suivront, le monde devenant de plus en plus comme une immense mécanique où tout s’explique par la cause qui le précède. Mais peut-on être aussi catégorique que Descartes quand il affirme que la conséquence ne peut pas contenir plus que la cause qui en est à l’origine, et qu’ainsi l’homme par nature plus petit que Dieu, celui-ci ne peut qu’en être le créateur ? N’y a-t-il pas dans le monde des manifestations dont les effets sont bien plus grands que leur origine ? Prenons l’exemple de la tentation. Dans l’un de ses cours donnés à la Sorbonne dans les années 60, Jankélévitch à propos de la tentation explique que celle-ci trouve son origine dans quelque chose de minime, un geste par exemple, une simple parole pourquoi pas, mais dont les effets si je me laisse tenté sont bien plus importants. On comprend ici aisément que nos actes produisent parfois des effets qui dépassent de loin l’intention initiale. Pourquoi en serait-il différent à propos de l’idée de Dieu ? Est-il impensable d’envisager que l’homme soit capable de penser bien plus grand que lui sans n’avoir de personne, en usant seulement d’une imagination qui parfois le déborde ? N'est-ce pas d’ailleurs par le propre de l’imagination que de nous emmener là où nous ne sommes pas ?
Ajoutons que la causalité sur laquelle s’appuie Descartes suppose un ordre temporel, un avant avec la cause, un après avec la conséquence. Cette temporalité est de nature linéaire et ne laisse aucune place au hasard. Tout ce qui existe s’explique ainsi par ce qui le précède. C’est certainement vrai pour bien des choses. Mais l’est-ce vraiment pour tout ? Descartes en affirmant que Dieu ne peut qu’exister parce que je pense donc je suis, investit le champ métaphysique, donc dépasse la seule matière pour laquelle la causalité rend aisément compte de ses manifestations. Mais en dépassant la physique pour y trouver Dieu, peut-on encore dire que tout effet est le produit d’une cause, que tout est linéaire, que tout s’explique selon des lois universelles ? Ce que l’on pense être une cause dans le monde matériel ne serait-il pas un effet sur un plan métaphysique ? La cause ne pourrait-elle pas tout simplement devenir l’effet, et inversement ? En empruntant une voie métaphysique à la manière de Descartes, je peux aussi bien dire comme lui que Dieu est la cause de l’homme, ou à l’inverse prétendre que l’homme est à l’origine de Dieu. Je peux donc croire en Dieu avec Descartes, ou pas, mais certainement pas démontrer qu’il existe ou non. Dieu est affaire de foi et non de savoir. Restons-en là, tel est le conseil que je formule, C’est ainsi que la vie conserve tout son mystère, ce qui lui donne autant de saveur.
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