#4. Avoir toujours raison ou presque
- Jean-François Caron
- 22 juin 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct. 2024
Ecoutez le podcast
Script du podcast " Avoir toujours raison ou presque "

Bonjour et bienvenue. Peut-on avoir toujours raison, ou presque ? Le fait d’avoir raison ou pas n’est pas qu’une affaire raisonnable. Les affects sont autant concernés que la pensée rationnelle est impliquée. Le corps et l’esprit sont tous deux de la partie, et c’est ainsi qu’avoir toujours raison, ou presque, nous importe autant car c’est notre être dans sa totalité qui est engagé. Ceci explique peut-être qu’il soit si difficile de reconnaître d’avoir tort, jusqu’à parfois, pour ne pas dire souvent, préférer se maintenir dans l’erreur que de se corriger. Avoir toujours raison, ou presque, n’est pas non plus vécu de la même façon au travail ou au domicile. Avoir raison dans l’exercice de son métier alimente la reconnaissance de ses pairs concernant ses compétences, son professionnalisme, son crédit, ou alors s’agit-il d’assoir un pouvoir hiérarchique. Dans l’intimité, on cherche plus à avoir raison ensemble lorsque l’on partage son existence, ou bien est-il question de dominer celui ou celle avec qui l’on vit.
Avoir toujours raison ou presque n’est pas non plus qu’une histoire entre individus. Peut-on aussi avoir toujours raison ou presque à propos du monde lorsqu’il s’agit de l’interpréter ? La réponse à cette interrogation présente un enjeu fort puisqu’il y est question de notre rapport au réel, notamment quand il s’agit de désigner ce qui est vrai ou faux.
Alors, peut-on avoir toujours raison ou presque ? Certainement que non, cela est impossible. Mais aussi est-il préférable de ne pas avoir toujours raison ou presque. Je vous propose dans ce nouvel épisode de comprendre pourquoi et de vous donner quelques repères pour se préparer à avoir raison sans certitude.
Je peux connaître le monde, c’est-à-dire m’en faire une représentation conforme à ce qui, en partie seulement. Ne confondons pas la connaissance avec la vérité. Ce qui est vrai correspond exactement, en tous points, à ce qui est. Il s’agit là plus d’une correspondance que d’une connaissance. Nous pouvons certes connaître le réel, nous en faire une idée précise, scientifique, vérifiable, démontrable. Mais nous ne pouvons jamais correspondre à ce qui est en atteignant les choses pour ce qu’elles sont en soi. Il faut nous contenter de les représenter, et non de nous y fondre. Il y a toujours une distance, une relation, un rapport entre le réel et nous-même qui nous empêche d’avoir totalement raison. La connaissance et la vérité sont ainsi différentes. La première n’épuise pas la seconde. Pour autant, il ne saurait y avoir de connaissance sans vérité, mais elle reste finalement partielle. La vérité ne se donne jamais en totalité. Tout connaissance comporte une part de vrai car sans cela on en reste au stade de l’opinion, de la croyance ou de l’illusion. A propos du monde, on le connaît plus à partir de ce qui est faux pour en déduire ce qui est vrai, au lieu que d’atteindre directement la vérité. La science fonctionne de la sorte. Est scientifique ce qui est réfutable avec l’expérience. Sinon ce n’est là que théorie qui jamais ne se traduit par une réalité concrète. Peut-on dès lors dire que l’on a toujours raison, ou presque, sous prétexte que rien, absolument rien, ne puisse contredire ce que l’on affirme ? A l’évidence non. On peut au mieux avoir raison à un moment en particulier avec la possibilité d’avoir tort plus tard, une fois que l’expérience est en mesure de saisir notre affirmation. A propos du rapport que l’on entretient entre la vérité, la connaissance et la croyance, je retiens volontiers la proposition que formule le philosophe français du XIXème siècle Jules Lequier, et qui est la suivante, je le cite : « Lorsqu’on croit de la foi la plus ferme que l’on possède la vérité, on doit savoir que l’on croit, non pas croire que l’on sait. »
Avoir toujours raison ou presque est également ce qui nous anime dans nos relations avec autrui. Il peut s’agir d’avoir raison ensemble, et la forme la plus complète et aboutie de cet accord est me semble-t-il l’amour. Parce que nous aimons une personne, nous avons toujours raison de partager notre vie avec elle. Toutefois, l’amour n’a rien d’absolu, il change, il évolue, et parfois il s’érode. J’ai toujours raison d’aimer quelqu’un lorsque nous nous accordons si bien, mais cette relation n’a jamais rien de définitif. Nous pouvons demain avoir tort de poursuivre une relation que l’on espère amoureuse alors qu’elle devient sans issue.
Avoir toujours raison ou presque renvoie aussi à une posture que l’on recherche, ou que l’on maintient, une fois se trouvant face à un contradicteur. C’est vouloir l’emporter immanquablement quand le débat s’installe, ceci parfois quel que soit le prix à payer. Cette forme de jusqu’au-boutisme conduit au sophisme. Dès lors, ce qui importe n’est plus ce qui est, mais ce qui apparaît vraisemblable. Seule l’apparence prévaut avec le sophisme pour dominer, moins pour convaincre. Il n’y est plus question d’avoir toujours raison ou presque, mais plutôt de l’emporter contre toute contradiction.
Ce n’est pas avoir toujours raison ou presque que de dominer sans partage. Évitons alors de tomber dans le sophisme, pour se concentrer plutôt sur les conditions à réunir pour avoir raison sans toutefois transformer le débat en combat. Premièrement, considérons que débattre n’est pas sans émotion et qu’ainsi il n’est guère possible de convaincre sans un minimum d’intelligence émotionnelle. Anticipons donc les situations à risque pouvant générer des réactions épidermiques pour se préparer à les maîtriser, tout comme soyons attentif durant l’échange à l’état émotionnel de notre interlocuteur afin d’adapter son discours en conséquence.
Ensuite, il faut être prêt à débattre, en construisant à l’avance son argumentaire. Il faut du fond pur avoir raison, et aussi de la forme. Comme le formule Victor Hugo, je le cite « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Sans argument, la forme fait illusion. Elle est un écran de fumée prêt à être dissipé par les arguments qu’on nous oppose. Le fond d’abord, la forme ensuite, avec la rhétorique pour exprimer au mieux ce dont nous sommes convaincus.
Enfin, répétons-le, débattre n’est pas combattre. Lors de tout échange contradictoire se déploie un mouvement intersubjectif qui engage et détermine chacun prenant part au débat. Pour avoir raison, il convient d’envisager le débat comme un rapport de sujet à sujet, et non de sujet à objet comme le suppose le sophisme. Il s’agit de confronter des lectures différentes du réel pour les accorder ensuite, avec des divergences indépassables puisqu’il s’agit d’obtenir un accord et non de fusionner. N’hésitons pas non plus à employer la métaphore pour imager son discours. L’imaginaire est bien souvent plus accessible que les seuls raisonnements sans saveur ni couleur.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être poursuivrons-nous ensemble la réflexion.
Commentaires