#9. Fuir le bonheur pour être heureux
- Jean-François Caron
- 29 juil. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct. 2024
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Script du podcast " Fuir le bonheur pour être heureux "

Bonjour et bienvenue. Faut-il fuir le bonheur pour être heureux ? Fuir le bonheur de peur qu’il ne sauve comme le chantait si bien Jane Birkin ? Ne pas le chercher pour finalement être heureux ? Le bonheur serait-il un état auquel il conviendrait d’échapper pour mieux le retrouver ? Les paroles que soufflent Serge Gainsbourg à sa muse en disent beaucoup sur le bonheur en le révélant comme insaisissable. Penser que l’on est heureux suffit à l’être déjà moins car pointe très vite la crainte que notre bonheur n’est que de passage. Il est aussi très difficile de s’affirmer heureux. Qu’est-ce qu’être heureux ? Le suis-je réellement ? Ne pourrai-je pas l’être un peu plus ? Est-ce vraiment le bonheur que de sentir satisfait de son existence, comme s’il fallait être repu pour être heureux ? Ces questions en restant sans réponse définitive laissent planer un doute autour du bonheur et finissent par l’éroder. En revanche, le malheur lui est bien moins secret. Nous savons très bien lorsque nous sommes malheureux, ou ce qui peut nous conduire à l’être. Le malheur est tranchant. Il y a un avant et un après à la suite d’un évènement douloureux. Peut-on dès lors définir le bonheur à partir de ce qui s’y oppose, par défaut ? Faut-il vraiment chercher à circonscrire le bonheur pour en faire une cible à atteindre, ou bien le fuir pour vivre heureux ? Je vous propose dans ce podcast quelques réflexions autour du bonheur sans prétention à trouver des solutions pour être heureux.
Restons pour commencer sur l’idée que le bonheur soit définissable selon ce qui lui est antinomique, le malheur, ou plus précisément la douleur. Aussi peut-on imaginer qu’être heureux, c’est ne pas souffrir. C’est en fuyant ce qui s’y oppose qu’il serait possible d’atteindre le bonheur, comme s’il fallait avancer à reculons. S’agissant d’éviter la douleur, on pense bien-sûr au corps car l’on envisage mal d’être heureux lorsque la chair est meurtrie. Quoique. Certains parfois ressentent du plaisir en se soumettant volontairement à quelques souffrances corporelles. Ainsi, le corps n’est peut-être pas ce qui permet de distinguer au mieux le bonheur du malheur, certainement moins en tout cas que l’esprit. On s’imagine plus aisément heureux ou pas. Ce qui en revanche est plus difficile, c’est de comprendre pourquoi l’on est heureux alors qu’il faut peu pour justifier notre malheur.
A propos de l’esprit, ne peut-on pas considérer que l’absence de trouble conduit au bonheur ? Ne convient-il par de rechercher la tranquillité de l’âme comme le propose les épicuriens et les stoïciens avec l’ataraxie ? Si oui, difficile de compter être heureux en fuyant le bonheur car il n’y a pas de fuite sans inquiétude. De plus, fuir le bonheur pour être heureux suppose de se détourner de ce qui nous plaît, ce qui avouons-le ne contribue guère à l’apaisement. Se détourner de ce qui nous plaît nourrit le désir, l’entretient, l’attise jusqu’à pourquoi pas s’embraser. D’où la nécessité d’envisager le rapport qu’il peut exister entre le bonheur et le désir.
Peut-on envisager le bonheur sans désir ? Répondre que non laisse à penser que fuir le bonheur est une posture inappropriée pour être heureux. Comment en effet envisager fuir ce que l’on souhaite ? Comment atteindre ce que l’on vise en s’en détournant ? Ou alors peut-être y-a-t-il une confusion entre le désir et le plaisir, en considérant que le désir est un état de l’être, un élan vital pour reprendre une formule d’Henri Bergson, alors que le plaisir lui serait associé à une satisfaction momentanée. Le rapport entre le désir et le plaisir n’est pas simple à entrevoir. Il y a entre les deux comme un voile qui trouble le réel, et donc peut-être le bonheur. Ou bien le rapport entre le désir et le plaisir serait par trop évident, ce qui serait de nature à contrarier le bonheur. Penser que le désir n’est que l’origine du plaisir, et rien d’autre, peut produire du manque. J’aurais ainsi plaisir à posséder ce que je n’ai pas. Serais-je alors heureux ? Peut-être pas. Ne confondons pas non plus le bonheur avec la satisfaction. Je suis satisfait un tant donné, et puis bien vite je désire autre chose. En ce sens, c’est le désir qui détermine ce qui me manque, et non l’inverse. En associant sans distance désir et plaisir, je désire moins ce qui me manque, que me manque ce que je désire. Dans ces conditions, le bonheur est-il envisageable si sans cesse je ne fais que produire du manque en confondant désir et plaisir ? N’est-il pas question plutôt de prendre de la distance entre le désir et le plaisir que de fuir le bonheur pour être heureux ? Ne s’agit-il pas finalement de désirer plutôt mieux que moins ?
En plus de confondre le désir et le plaisir, se méprendre sur la joie conduit également à entraver le bonheur. Le bonheur n’a rien d’une joie constante puisque l’on ne peut être perpétuellement joyeux. La joie est spontanée et ponctuelle. D’ailleurs, on ne connaît pas toujours les raisons au fait de sentir joyeux. Peut-être y’a-t-il tout simplement de la joie sans raison. Même la tristesse n’empêche pas d’être joyeux. La joie la dépasse sans la supprimer, et c’est ce qui sur le moment la rend d’autant plus forte et intense. Mais elle ne dure pas. Ce n’est que simulacre que de se montrer joyeux en permanence. Le bonheur dans ce cas est plus une affiche qu’à un état. On ne peut être heureux sur commande avec la joie pour faire-valoir. La joie est une surprise, un cadeau qui ne m’appartient pas.
Fuir le bonheur pour être heureux, sans finalement savoir ce qu’il est exactement, voilà où nous en sommes. Peut-être en est-il mieux ainsi. Le mystère demeure, et d’ailleurs ne vaut-il pas mieux l’entretenir. Dès lors, nous serions heureux indirectement, non pas en fuyant le bonheur mais en ne cherchant pas à l’atteindre. C’est ainsi que je conseille de s’en remettre au philosophe français Alain, qui nous dit, je le cite : « Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas cherchée. » Il n’est donc pas question de renoncer au bonheur, mais de créer les conditions de son apparition, de le rendre possible sans attendre à ce qu’il soit définitif. Je ne recherche pas le bonheur, je prépare sa venue.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être poursuivrons-nous ensemble la réflexion.
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