#11 Habiter le présent
- Jean-François Caron
- 31 oct. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 nov. 2024
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Script du podcast " Habiter le présent "

Bonjour et bienvenue pour ce podcast intitulé Habiter le présent. Je vous propose dans cet épisode une réflexion sur le temps qui passe. Avec le temps, va, tout s’en va. Tout le monde connaît cette parole de Léo Ferré, pour qui le temps anéantit tout, y compris ce que l’on pense être plus fort que tout, soit l'amour. Renaud quant à lui nous fredonna que le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants. Le poète Lamartine également imagine le temps comme un oiseau qui en suspendant son vol nous laisserait savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours. Nous n’échappons pas au temps qui passe, nous n’existons d’ailleurs que parce que le temps passe. Nous sommes finalement dans le temps, et pourtant qu’il est difficile de le définir, encore plus de le saisir. On peut certes prendre son temps, mais jamais nous le possédons pour inverser son cours. Qu’est-ce donc que le temps qui sans cesse conditionne notre existence alors même qu’il nous échappe à chaque instant ? On peut répondre à la manière de Saint-Augustin, lequel nous dit quant à expliquer ce qu’est le temps, je cite : « Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus. » Ainsi, nous serions doublement dans une impasse à propos du temps : à la fois il nous emporte sans que nous n’y puissions rien, et en même temps si l’on peut dire, l’idée même du temps nous échappe lorsqu’il s’agit de le penser. En effet, s’il faut envisager le temps en distinguant le passé, le présent et le futur, nous n’avançons guère sur la question. Le futur n’est pas puisqu’il est à venir, le passé lui n'est plus, et quant au présent, il ne cesse de fuir. Présenté ainsi, le temps nous renvoie au néant, comme s’il nous dévorait, et alors oui, comme le chantait Ferré, avec le temps, va, tout s’en va. Pour autant, est-il possible d’envisager le temps différemment de l’enchaînement entre passé, présent et futur, cet enchaînement qui en toute occasion crée de l’avant et de l’après et donne le sentiment que rien ne dure, que tout s’évanouit ? Je vous partage dans cet épisode quelques réflexions à propos du temps et pourquoi est-il si difficile de s'en faire un allié.
Le temps est communément perçu comme la succession entre passé, présent et futur, comme une chronologie distinguant l’avant et l’après. Le passé ainsi n’existe plus. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas. Ce qui n’est plus est son contenu. Pour autant, il ne peut pas aujourd’hui en avoir été autrement. Le passé reste vrai, en tout temps. Je suis en train d’écrire ce podcast, c’est maintenant, mais déjà les mots qui précèdent sont à jamais renvoyés au passé, ce qui pourtant ne réduit en rien le fait que je les ai écrits. Le passé est absolument vrai. Cette vérité toutefois n'est pas à confondre avec le souvenir. En me souvenant, je me représente ce qui s’est passé, ce qui n’a rien d’absolu. Toute représentation est singulière, personnelle. Se souvenir de ce qui s’est passé n’est pas non plus revivre ce qui fût. Les premiers émois resteront à jamais ce qu’ils furent et cela même si plus tard je vis de pareilles émotions. Penser qu’avec le temps, va, tout s’en va, c’est considérer que toute première fois est unique et que plus rien par la suite ne peut l’atteindre. Mais que cette première fois s’en est allé, avec le temps, c’est ce qui fait aussi sa valeur, son charme, son rappel lorsque l’on s’en souvient. On ne peut toutefois espérer qu’un écho de ce qui fut, grâce au souvenir. Ainsi, ce n’est pas tant qu’avec le temps, va, tout s’en va, mais plutôt que rien ne revient comme avant.
Que dire de l’avenir ? Si l’on pense qu’avec le temps, va, tout s’en va, c’est réduire ce qui adviendra au passé, reléguer systématiquement ce qui sera à ce qui fut. C’est comme un futur antérieur, en imaginant déjà qu’est terminé ce qui n’a pas encore commencé. L’avenir est peut-être ce qui est le plus difficile à saisir parce qu’à la fois il n’existe pas puisqu’à venir, et avant-même qu’il advienne il est relégué déjà à ce qu’il sera, c’est-à-dire au passé qui l’attend. A propos du futur, je peux certes l’anticiper, le prévoir, l’espérer même, mais ce ne sont là que des vues de l’esprit qui n’existent que pas le seul fait d’y penser, et qui bientôt n’existeront qu’avec le souvenir. L’avenir n’a rien non plus de véritable contrairement au passé. Et pourtant, le futur nous anime tant il est la condition de notre existence ; nous n’avons pas d’autre choix que de tendre vers lui alors même qu’il nous échappe sans cesse, sauf à ne plus être. Si l’avenir existe maintenant, il n’est plus à venir, il disparaît en rejoignant le passé. C’est comme si le temps finalement n'existe pas si on le pense comme la suite entre futur, présent et passé. A ce propos, Saint-Augustin, encore lui, nous dit, je cite : « Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que le temps est, c’est qu’il tend à n’être plus. » En définitive, lorsque Léo Ferré chante qu’avec le temps, va, tout s’en va, n’est-ce pas le temps lui-même qui prend la tangente ?
Avec le temps, va, tout s’en va. Et pourtant, le présent lui est toujours là. Il n’y a rien de plus réel que le présent qui semble nous filer entre les doigts et qui toutefois n’en demeure pas moins. Plus que cela, le présent est notre demeure dans un univers déterminé par l’espace et le temps. L’espace-temps justement, parlons-en. La science nous a appris que le temps n’a rien d’universel, qu’il est relatif en étant fonction de la vitesse. Merci Einstein ! Voilà qui arrange encore moins notre affaire. Avec le temps, va, tout s’en va, et en plus différemment selon la position que l’on occupe et la façon dont on observe le mouvement. Que l’on soit statique, ou propulsé à la vitesse de la lumière, le temps alors s’écoule autrement. Dès lors, on ne sait plus où donner de la tête si en plus le passé et le futur n’ont pas le même horizon selon la situation. Pourtant, c’est parce que le passé et le futur sont relatifs qu’il est possible de saisir ce qu’est le temps, donc de le retenir même si avec lui, va, tout s’en va. En effet, quels que soient les conditions du passé et du futur, ceux-ci n’en sont pas moins bornés par le présent. Même si le passé et le futur sont relatifs, le présent lui est absolu. Il est un point dans l’espace-temps et le reste indéfiniment. Le présent dure sans cesse même si son contenu évolue continuellement. Avec le temps, va, tout s’en va, sauf le présent. Nous occupons l’espace, ici et maintenant, sans cesse jusqu’à ne plus être. Le temps en définitive est imaginé si l’on reste fixé sur le passé et le futur. En revanche, la durée elle est bien réelle sans qu’aucun imaginaire ne puisse l’emporter. Ainsi, je terminerai mon propos avec le conseil suivant. Lorsque nous pensons ne pas avoir assez de temps, ou alors que le temps nous semble passer trop vite, n’oublions qu’il ne s’agit là que de représentations et non d’une vérité absolue. Et toute représentation, comme le temps, est relative. Ainsi, j’imagine et j’envisage différemment le passé et l’avenir selon mon âge. Que je sois jeune ou vieillard, le passé et le futur n’ont pas le même poids, alors que le présent n’a rien de différent. Si l’on veut goûter un peu d’éternité, habitons un peu plus le présent puisqu’il est unique ; rien ne le remplace.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être poursuivrons-nous ensemble la réflexion.
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