#8. Se baigner dans le fleuve d'Héraclite
- Jean-François Caron
- 2 juil. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct. 2024
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Script du podcast " Se baigner dans le fleuve d'Héraclite "

Bonjour et bienvenue. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». C’est à Héraclite que l’on doit cette proposition fameuse prononcée autour de cinq cents ans avant notre ère. Héraclite est considéré avec d’autres comme l’un des fondateurs de la démarche philosophique en employant la raison, à la place du mythe et de la poésie, pour questionner le monde. Ces pionniers de la philosophie, Thalès, Pythagore, Parménide, Héraclite donc, sont désignés aujourd’hui comme les présocratiques, en précédant Socrate dans l’histoire de la pensée occidentale. Tous ont été animés par la volonté d’identifier de manière rationnelle ce qui gouverne le monde, le logos en l’occurrence. Ils ont ainsi cherché chacun à déterminer un principe intemporel et immuable qui commande tout et sur lequel il est possible de penser le réel. Dans un monde en perpétuelle évolution, il n’est pas simple d’identifier ce qui par nature ne change pas mais n’en détermine pas moins tout être et toute chose. Pour Héraclite, ce principe est le changement puisqu’en effet tout change et ceci à chaque instant. Moi-même je suis sans cesse différent de celui que je fus à l’instant et que je serai juste après. Le monde, qu’il soit vivant ou inerte, n’est jamais pareil à lui-même, seconde après seconde, puisque c’est le changement qui le fonde, puisqu’il n’existe finalement qu’à la condition de ne jamais être identique. C’est la raison pour laquelle on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Ce fleuve est la représentation que donne Héraclite au mouvement perpétuel qui caractérise le réel, un mouvement circulaire car pour autant si tout change, rien ne se perd. Même si on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, ce dernier pour autant ne disparaît pas. L’eau certes s’y écoule et ainsi rien n’est jamais pareil, mais il faut bien que le fleuve ait un lit pour faire un cours d’eau. Ainsi, avec la proposition d’Héraclite, on peut penser que même si rien ne dure, tout se transforme et ainsi le monde s’écoule sans s’écrouler. On peut également y déceler quelques implications pratiques et morales de nature à guider notre existence. C’est ce que je vous propose de faire dans ce podcast, et ainsi nous baignerons-nous ensemble dans le fleuve d’Héraclite.
Penser que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve accorde une place fondamentale au changement dans toute situation sans que rien ne soit perdu pour autant. Toute chose est ainsi animée par des forces contraires qui se rencontrant produisent du nouveau sans anéantir ce qui est ancien. Il est donc question ici de transformation et non de destruction. Ainsi est-il possible de reconnaître dans le fleuve d’Héraclite la représentation d’un mouvement dialectique. De la différence naît une forme d’harmonie, laquelle perdure en se transformant. Sur un plan pratique, ce constat est riche d’enseignement. Au cours de discussions personnelles ou de débats professionnels, il est possible de dépasser les oppositions en faisant s’entrechoquer des idées qui se contredisent. La contradiction est d’ailleurs motrice pour voir les choses différemment et ainsi innover sur le plan des idées. Débattre n’est pas non plus combattre. Le fleuve d’Héraclite peut être secoué par des courants violents quand des forces puissantes s’y opposent, il continue de couler pour plus tard retrouver son calme.
Ensuite, toujours sur un plan pratique, il est possible, par référence au fleuve d’Héraclite d’envisager tout problème selon une approche dynamique pour le résoudre. Toute problématique est alors abordée selon ce qu’elle peut devenir, et pas seulement pour ce qu’elle est. On élargit ainsi le champ des possibles pour solutionner une difficulté en dépassant la vision statique que l’on peut en avoir.
En plus des aspects pratiques tels qu’évoqués à l’instant, se baigner dans le fleuve d’Héraclite n’est pas neutre sur un plan moral. Penser le mouvement comme principe invariable et immuable qui gouverne le monde n’est pas sans conséquence sur les relations entre les individus. En effet, l’impermanence permanente dont Héraclite se fait l’écho englobe tout, n'exclut rien, qu’ils s’agissent des choses ou des êtres. Ainsi, personne n’est jamais totalement identique à elle-même. Nous sommes constamment en devenir. Nous serions même, pour reprendre l’idée de Sartre à propos de l’homme, chacun un projet, une existence avant que d’être une essence. Ceci accorde à la liberté une place centrale dans nos vies et nous responsabilise, tant vis-à-vis d’autrui qu’à l’égard de nous-même. Le mouvement dont nous sommes l’objet, en nous baignant dans le fleuve d’Héraclite, est ce qui nous fait sujet en devenir. Dès lors l’identité à laquelle on se rattache aisément pour justifier des actes ou des comportements s’en trouve fortement diminuée, pour ne pas dire réduite à néant. Ne confondons pas l’identité avec la personnalité. La première correspond à l’idée que je me fais de qui je suis, la seconde quant à elle renvoie à la façon dont je suis avec autrui et perçu comme tel. Ce n’est pas parce que je me suis en colère dernièrement que je suis définitivement colérique. C’est la raison pour laquelle parfois des comportements nous surprennent, voire nous mettent mal à l’aise, lorsque nous confondons volontiers la personnalité avec l’identité. On peut penser en se baignant dans le fleuve d’Héraclite que l’identité est une illusion puisque rien n’est stable, et en conséquence personne ne saurait être définitivement renvoyé à ce qu’il est censé être. Héraclite autorise ainsi une prise de recul salutaire pour ce qui relève des relations entre les individus en rendant absurde toute tentative d’enfermement identitaire.
Je vous remercie de votre attention. J’espère vous avoir apporté matière à penser. N’hésitez pas à me laisser un commentaire à la suite de ce podcast. J’aurais plaisir à vous répondre, et peut-être poursuivrons-nous ensemble la réflexion.
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